Annette et
Bernard Uhl :
Les escapades de
l'équipage de Maïlys les ont conduit dans bien des endroits au
Maroc. Bernard nous raconte la suite de leurs aventures et nous ne
pouvons pas nous empêcher de les publier sur le site de Banik pour vous faire partager notre
plaisir.
Les photos sont d'Annette, la parole est à Bernard...
Bernard du
voiler Maïlys |
"Tout
ce que j'écris est vrai et censuré par Annette
(d'ailleurs elle corrige les fautes d'orthographe),
et si parfois je me laisse emporter par un dérapage
contrôlé, c'est toujours pour les besoins d'un bon
mot ou pour renforcer une sensation.
Seul
un esprit chagrin et mal embouché verrait dans ces
lignes une critique du Maroc.
C'est plutôt un encouragement à y aller."
Bernard.
|
Annette du voilier
Maïlys |
Maroquineries (2) :
Touristes:
Marrakech est pour le tourisme de masse, la ville
phare du Maroc. Il est des lieux, pas très loin de la place
Djemaa El Fna où la concentration est telle que le spectacle
n'est plus l'autochtone mais le touriste lui-même. Nous
choisissons un bistrot stratégique à l'angle de 2 rues.
Observons.
Il s'est développé depuis quelques années une
nouvelle race de touristes, adeptes de Nicolas Hulot, très
orientés vers le terrain et le rallye aventure. On le reconnaît
facilement à une sorte d'uniforme, un gilet en toile ou en cuir,
de style débardeur, équipé d'une multitude de poches à fermeture
éclair ou à pression (il y en a une entre les omoplates).Ce type
de gilet a été mis au point pour les grands reporters couvrant
les théâtres d'opération (métier qui consiste a prendre en photo
des cadavres encore chauds dans des pays où on s'entretue par
idéal pour les lecteurs de grands magazines).
C'est l'Aventurier de la Poche Adjonctive, sorte
de confrérie, voyageant en charter de luxe (2 places par siège).
Il porte le plus souvent un short long de combat à poches
latérales, couleur Tempête du désert, taille XXL (pour le
ventre), coupé sous le genou pour mettre en valeur deux mollets
flasques et velus. Le pied chaussé de sandales camouflées, le
chef couronné d'un chapeau en cuir d'Indiana Jones à large bord
(pour se protéger du cancer du soleil), l'œil recouvert de
Ray-Ban noires à couvertures semi-circulaires panoramiques,
style "men in black", pour cacher un regard paniqué par le choc
culturel.
Le ventre sert de soutien à une kalachnikov numérique à haute
cadence de prises de vue (30 images/sec), qu'il braque
sporadiquement sur le Berbère, ahuri par tant de haine.
Un pickpocket de mes amis m'a avoué son désespoir
devant ce gilet: comment visiter 34 poches adjonctives en
quelques secondes et trouver celle qui contient les Euros frais?
Car on y trouve beaucoup de choses dans ces poches:
- 1 décapsuleur universel (s'adapte a toutes
les cannette de bière)
- 1 couteau Suisse (type caisse à clou FACOM)
- 1 préservatif aux normes européennes
(résiste a une pression de 10 bars)
- 1 magazine Play-boy (...)
- 1 bible selon Daniel Mermet (moraliste de
gauche)
- 1 rouleau de PQ (pour la tourista)
- 1 déclaration des droits de l'homme (c'est
nous qu'on l'a inventée)
- 1 léger racisme (mais pas trop, car il vote
a gauche)
- 1 réchaud camping gaz, 1 GPS, 1 parabole, 1
photo de maman....
Fasse Allah que le Maroc, qui a fait de
l'industrie du tourisme sa principale recette de devises puisse
rigoler encore longtemps.
Tobus:
Nous avons choisi pour nous déplacer ce transport
populaire et modique (2 Euros pour 100km), à la fois pour le
spectacle du Berbère en voyage, et pour ménager notre budget.
Les tobus ne sont pas tout jeunes et ont souvent
l'aspect d'un car de CRS un soir de mai 68, après une manif sur
le boul'Mich. Beaucoup tanguent par manque d'amortisseurs,
d'autre gîtent d'un côté par rupture de châssis, certains
retransmettent les aspérités de la route dans nos colonnes
vertébrales en les amplifiant.
Bismillah, ils ne vont pas vite: environ 2h30 par
100km. Temps qui peut être considérablement rallongé par les
pannes en rase campagne.
Nous sommeillons sur des cahots poussiéreux,
lorsqu'un mouvement bizarre, suivi d'un arrêt nous ramène à la
réalité. Les convoyeurs sortent suivi du chafior, puis les
passagers un à un. "Li pno li crovi" me confie l'un d'entre eux.
Autour c'est le désert, et les vautours flairant l'aubaine
commencent à nous frôler. Les convoyeurs se mettent au boulot
sur la roue avant gauche, plus flasque qu'un mollet de touriste.
L'absence de cric oblige le tobus à monter sur un madrier, pas
très large, aidé de grands cris et de taloches sur la
carrosserie, et après de multiples tentatives, parvient à rester
en haut du morceau de bois.
Puis à l'aide d'une grosse barre à mine et de la
bonne volonté des passagers, le bus se retrouve
juché sur un empilement de planches. Enfin la roue
de secours est extraite d'un coffre. Bien qu'elle
soit gonflée, elle n'a plus de bande de roulement,
il reste cependant par endroit un peu de gomme, ce
qui lui donne une forme plus polygonale que
circulaire. De gros bubons noirs parsèment les
flans. Mais cette roue-la ne va pas remplacer la
roue avant crevée, sécurité oblige: on démonte le
double train arrière, pour piquer l'une des roues en
bon état et placer la roue de secours bubonique à
l'intérieur du train. |
|
Sur le bas côté les passagers discutent, prennent
le thé, et Annette prend des photos.
La nuit est là lorsque nous repartons, secoués
par des cahots polygonaux. Le chauffeur pour conjurer le mauvais
sort nous met une cassette. C'est une discussion tenue par un
prédicateur allumé qui hurle son amour pour Allah. Les maux de
tête provoqués par ces hurlements et par les gaz d'échappement
remontant par la portière envahissent nos neurones défaillants.
Plus tard nouvel arrêt: ce sont les gendarmes qui
veillent. Le moteur est arrêté, pendant que les motards font le
tour du véhicule. Les coopérants (qui sont mauvaise langue) les
surnomment les "dingos" car leur casque, en forme de bol, a 2
grandes lanières de cuir qui pendent de chaque coté, leur
faisant des oreilles de dingos. L'un des gendarmes prend les
papiers du chafior et une discussion s'engage. Évidemment le
mouchkil (problème) c'est le pneu. Une demi-heure après, il y a
3 groupes: les gendarmes qui continuent d'arrêter d'autres
véhicules, chauffeurs et convoyeurs qui discutent, et les
passagers qui prennent le thé avec Annette qui prend des photos.
L'un d'eux me confie: Ils veulent 50 dirhams. Une entente à
l'amiable s'opère bientôt, et nous remontons dans le bus.
A la lumière des plafonniers, devant nos yeux
égarés nous voyons des milliers de cafards qui courent par
terre, sur les siéges, sur le sac à dos, sur les djellabas, sur
Annette, dans ma barbe...
Ce soir douche au begon.
Bistro :
Comme n'importe quelle galerie marchande, les
souks marocains possèdent un coin restauration. Après avoir
marché pendant des heures sous un soleil empoussiéré, la soif
d'un bon thé à la menthe s'impose à une gorge desséchée.
La galerie marchande, c'est
en général un village de toile plastique, vastes tentes dont la
couverture est faite de sacs poubelles de 200 litres
harmonieusement cousus entre eux au point de croix. L'aspect
décharge publique est tempéré par la diversité des couleurs de
ce patchwork délirant. L'ensemble est soutenu par de grands
piquets de bois, enrobés d'une épaisse couche de graisse, qu'un
essaim de grosses mouches vertes colorise de teintes pastelles.
Un réseau de cordages arachnéens, tend l'architecture sur de
gros clous style "crucifixion du christ" fichés au sol. Le sol
est recouvert de nattes en paille tressée, sur lesquelles la
politesse oblige à se déchausser mais aussi pour éviter de salir
ses chaussures.
Les canouns grillent les morceaux de keftas,
brochettes de moutons; les salades brassées dans de grandes
marmites, les théières alignées attendent le client et la
bassine à vaisselle accueille les verres et plateaux avec la
même eau depuis 6h ce matin (pas de robinet dans un souk).
Annette prend des photos.
Nous avons grande confiance en notre système
immunitaire. Il s'est frotté maintes fois à de multiples amibes
des pays en voie d'émergence (tiers-monde), et à part quelques
grands dérèglements du boyau, il s'en est toujours tiré avec
succès. Mais à chaque fois que nous pénétrons dans ce genre de
bistrot, nous contrevenons aux règles élémentaires du routard,
qui ne doit boire que des boissons capsulées et notre instinct
de survie doit être tenu en laisse.
|
Après avoir trouvé une place parmi les nombreux
convives, on s'assied en tailleur, mais mon manque
de souplesse m'oblige à poser une main sur la natte
dans un détritus de fèves mélangées de pois chiches
et kefta écrasés. Voila, la main gauche est
inutilisable, avec la droite, va falloir attraper le
beignet qui trempe sur le plateau, dans un reste
d'eau de vaisselle. Said, qui nous a invités, étale
des fèves bouillies sur la natte et nous propose en
souriant de nous servir..... |
Mais c'est en fixant la théière, qui n'a pas été
déculottée depuis l'époque du protectorat, et dont le thé infuse
probablement dans l'eau de vaisselle que le doute m'assaille:
Que va faire mon système immunitaire?
Baptême :
Ce n'est pas désagréable : Un peu comme une
grosse goutte de pluie, aux prémices d'un orage
provençal.
Ça vous tombe au sommet du crâne, ça
vous coule derrière l'oreille, puis dans le cou,
s'élargissant dans le dos du faux Lacoste, en une
auréole jaune verdâtre striée de blanc.Il est
difficile de désigner le coupable parmi les
centaines de goélands qui ricanent au dessus de nos
têtes. |
|
A Essaouira, Jonathan Livingstone ajoute à
l'ivresse de l'exercice aérien, le plaisir de conchier le
touriste. Il en a les moyens.
Les selles d'un goéland ne sont pas celles du
canari. La matière est abondante et onctueuse, nourrie
aux tonnes d'anchois que les pêcheurs ramènent chaque jour. Nous
comprenons pourquoi ils portent des chapeaux de paille.
|
Essaouira est un superbe port de
pêche, qui doit ressembler à ce qu'était St Malo au
19eme siècle.
Une centaine de chalutiers de construction en bois
traditionnelle, s'encastrent dans un entrelacs de
cordages. |
Une activité incessante de marchandage,
transbordement de poissons, bateaux en mouvements, accrochent la
lentille du téléobjectif qui ne sait plus ou donner de la
focale. Annette passe ses journées à l'affût sur les terrasses,
les murs de la jetée, en haut d'un réverbère, assise sur une
bitte (d'amarrage), pour photographier l'évènement, le faisceau
de cordages, les couleurs d'une pyramide de filets de pêche en
tas.
Nous jouissons d'une situation privilégiée au
sein du port. Nous sommes quelques voiliers, très peu car la
place est petite et il faut quelque courage pour risquer son
beau yacht ici. Les mouvements sont continuels, les manœuvres
rugueuses, à grands coups de diesels rageurs. De jour comme de
nuit, le bruit est incessant, les départs et arrivées
s'alternent sans soucis de notre sommeil, mais quel spectacle!
Nous sommes au milieu d'une grande activité de
barcasses de pêcheurs, gros et petits qui émaillent de teintes
vives, d'odeurs fortes et de cris arabes un port qui chatoie de
mille couleurs.
Il n'est pas donné à tout le monde d'apprécier un
tel spectacle, il y faut une dimension mystique, et j'en profite
pour vous rappeler que les valeurs célestes ont plus d'intérêt
pour nous que les activités terrestres. S'il est encore possible
de ramener vos âmes de mécréants sur le chemin du salut, écoutez
ces paroles divines:
"La prière est un éjaculât qui ensemence le
ciel"
"Dieu merci il ne pleut pas souvent"
Moussa al Brakmar
Poète et théologien célèbre pour sa thèse
traitant du droit d'accès des femmes au paradis d'Allah,
démontrant qu'il est suffisant de les supporter toute une vie
sans y rajouter l'éternité.
Que de sagesse.
Hamdouhla
Abords d'Essaouira
Le débuts des Maroquineries de Maïlys
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