
Nous partons au moteur. Il faut bien sortir de
ce golfe de Panama qui est un cul de sac dans lequel la zone
intertropicale de convergence déverse ses nuages et ses grains. Il
faut faire du Sud, on trouvera bien du vent plus loin.
Ça y est voila le vent. Il n'y en a pas eu
pendant deux jours et maintenant qu'il vient il est de SW.
Devinez
le cap qu'on doit faire? SW bien sur. On va tirer des bords au près.
Je veux descendre la dérive centrale pour faire un cap plus efficace. Mais
le bout que je relâche ne tire pas. La dérive ne descend pas. Il
faut dire que ça fait longtemps que ça ne nous est pas arrivé de
faire du près serré. Il doit y a voir des coquillages dans le puit
ou ce sont les patins en Ertalon qui ont un peu gonflé. Ça va nous
faire perdre quelques degrés tout ça ... Et M.... !
Et
puis au bout de 5 minutes elle est descendue toute seule. Parfois
les choses se débloquent sans fatigue.
Banik prend de la vitesse mais aussi de la gite. Il remonte dans le vent et plante des pieux dans les vagues
qui commencent à se former. Ce n'est pas marrant comme allure le
près serré. Cependant il faut bien serrer le vent car il n'y a pas
un bord favorable. On doit aller exactement dans le lit du vent.
Pour gagner du terrain il nous faut absolument remonter. Le bateau tape...
La mer va finir par nous arracher une tôle de la coque... Un tiroir
s'ouvre et se répand. Le voilier plante toujours ses pieux et nous
éclabousse. Les manoeuvres sont nombreuses car le vent n'est pas
stable sous les lignes de nuages qui se succèdent. Dehors le ciré
est obligatoire. C'est pratique pour rester sec, un ciré. Mais
au bout de quelques jours ça pue un ciré. Heureusement on le quitte
de temps en temps pour aller se reposer sur la couchette qui de jour
en jour devient de plus en plus humide.

Ciel gris, mer grise,
crachin, froid, humidité...
Enfin allongé pour quelques heures de sommeil
bien mérité.
RRR tac, RRR tac. Il y a quelque chose qui roule dans un
équipet et s'arrête en taquant la cloison avant de repartir dans
l'autre sens ... Ça ne fait rien on s'en fiche on va dormir... RRR tac.
Ça roule et ça cogne contre la cloison. Bon je vais me lever... Non
ça ne le fait plus ouf!
RRR tac.
Et M....!
 |
Ça forcit. Depuis 20 minutes déjà je surveille
du coin de l'oreille le vent qui prend peu à peu de la force et la
transmet à la coque qui accélère et accentue sa gite. Ça
serait bien de prendre un ris... Bon aller c'est la huitième
manoeuvres aujourd'hui mais il faut le faire. Prendre un ris ce
n'est pas très compliqué et ça entretient les biceps... J'enfile le
ciré qui pue... Voila le ris est pris. Je suis un peu essoufflé et
je commence à avoir mal aux mains à force de tirer sur des bouts
de ficelles. Je descends pour aller boire un grand verre d'eau. Un coup d'oeil sur le loch. La
vitesse n'a pas diminué et les mouvements du bateau sont plus doux
rendant la vie plus confortable... Ça dure moins d'un quart d'heure
car le vent perd soudain 3 crans et on est ballotté sans puissance
dans les vagues qui ne sont pas calmées. Il faut renvoyer de la
toile .
Et M... ! |
Je remonte sur le pont. Si j'avais su je
n'aurai pas réduit tout à l'heure. Et puis j'aurai du enfiler mes
sandalettes comme je le fais huit fois sur dix. De retour dans le
cockpit je me tape le gros orteil sur le rail d'écoute de génois. Le
bout du doigt éclate, l'ongle se casse. P... de bordel ça fait mal;
Et M... !
Qu'est ce qui se passe? On n'avance plus
correctement, les voiles battent. Le vent a viré de 30° avec le
passage de ce nuage. Les voiles ne sont plus réglées en fonction du
cap que le pilote s'obstine à tenir. Je sors dans le cockpit sans
prendre le temps d'enfiler mon ciré. Je n'en ai vraiment pas pour
longtemps à border la grand voile et le foc et il ne pleut quasiment
pas. Ce n'est pas ça qui va mouiller le Tshirt et le caleçon bien
sec que j'ai enfilé avant de m'allonger sur la couchette. Non ce
n'est pas ça...
Une vague claque sur le plat bord et me voila rincé
d'eau de mer qui ne sèchera plus jusqu'à l'arrivée dans une semaine
Et M...!
Bon c'est vrai que Banik n'est pas une bête de
course qui remonte au près comme un pur sang de l'America cup mais
enfin il y a des limites...
Le mercredi 25 mai 2006 vers 8 heures du
matin nous passons à 7 milles du rocher Malpelo qui est une
caillasse en pleine mer à 300 milles au Sud de Panama. Nous ne la
voyons pas. Peut être que c'est un truc au ras de l'eau ? Il faut
dire que le temps est bouché, le ciel est gris, le vent souffle à 25
noeuds, nous essayons de remonter et le bateau tape dans les
vagues... Les instructions nautiques que nous avons consultées
préconisent une route qui contourne ce fameux rocher Malpelo avant
de faire route au SW vers les Galapagos. Mais le vent est de SW
évidemment et si on vire maintenant, à la borne Malpelo, ça va nous
faire remonter et perdre les degrés durement gagner vers le Sud.
Nous décidons de continuer encore 12 heures vers la Colombie.
La nuit vient de tomber et nous virons de bord. Je n'ose pas
regarder le GPS qui nous indique le cap exact que nous arrivons à
faire. 150° d'un bord sur l'autre... Et M.... !
Il faut dire que la
mer s'est bien formée maintenant et que nous ne voulons pas serrer outre
mesure pour arriver à survivre à l'intérieur du bateau. Et le
courrant est pile dans l'axe du vent aussi. 25 noeuds de vent et un
noeud et demi de courrant dans le pif...
Jeudi 26 mai 2006, 8 heures
du matin. Anik m'appelle: Viens voir il y a une île sous le vent.
Je savais qu'on en était pas loin mais je ne disais rien pour ne pas
démoraliser l'équipage. Hier on ne les avait pas vues mais
aujourd'hui la visibilité est meilleure et on aperçoit au loin les
hautes falaises lugubres de Malpelo. En 24 heures on a enregistré
114 milles au compteur mais nous n'avons progressé que de 22 milles vers
notre destination. Et M.... !
Ça ne sert à rien d'élaborer de belles
stratégies... On n'avance pas et puis c'est tout... On ne va tout de
même pas tirer un bord vers le continent ??? Ou alors jusqu'en Équateur ?
Ça met un petit coup au moral. A cette vitesse
là on en a encore pour un mois... Et les vivres vont finir par
manquer. Anik sait bien que la nourriture est un moteur important
pour la bonne marche du voilier. Elle annonce un bon jus de
pamplemousse qui nous fait envie depuis des jours. Les pamplemousses
achetés un peu verts pour qu'ils conservent sont enfin murs. Tous
les autres fruits ont pourris dans la chaleur humide de l'intérieur
confiné dans laquelle nous vivons sans pouvoir faire d'aération.
Elle coupe en deux le premier et découvre qu'il n'y a pratiquement
qu'une énorme peau et pas de pulpe. Le deuxième est pareil et tous
les autres aussi. Tout le stock y passera pour obtenir un
petit jus ridicule que nous partagerons.
 |
Le vent s'était un peu
calmé. mais voila un gros grain qui arrive. Il va
falloir réduire la toile et serrer à nouveau le vent
qui va tourner sous le nuage.
Ca y est, on est encore au près et l'étrave qui claque
dans les vagues les explose en gerbes d'embruns qui arrosent tout le
pont. Ce n'est qu'au bout de 3 jours que nous avons remarqué la
petite fuite au capot de pont de la cabine avant. La couchette et le
matelas ont absorbé goutte après goutte toute la mer qui est entrée
à bord. Un matelas plein d'eau salée ne sèche pas, les draps imbibés
sentiront bientôt le moisi. On ne peut rien y faire avant d'être
arrivé. |
Il n'y a pas que par là que l'eau rentre et le puisard qui fait son
office se remplit progressivement. Il faut donc soulever les
planchers, vider le coffre de toutes les boites de conserve et
écoper dans un petit seau, à quatre patte, la tête en bas.
Heureusement qu'on est bien amariné.
En ce moment c'est Anik qui se repose. Elle
n'a pas de chance car le vent n'a pas arrêté de changer de direction
pendant des heures. Sur le pont je n'ai fait que de manoeuvrer. Ça
ne m'a pas gêné car il faut avancer et j'agis comme un automate
borné.. Allez je vire de bord, le foc passe et le winch s'affole
Rrrrrr. Le winch placé juste au dessus de la tête d'Anik qui se
repose sous le pont cliquette
et vrille le cerveau endormi. Il faut suivre le vent alors je revire
de bord avec rage. Il ne m'aura pas à l'usure ce vent qui change
tout le temps. Dès qu'il refuse je vire. Il faut avancer. Et le
cliquetis du winch vrille le cerveau qui ne sait plus dormir...
Des jours et des jours au près, il y en a
qui aiment. En ce qui nous concerne ça nous gonfle car on
n'arrive pas à cuisiner correctement, à se reposer, à se
détendre... On glisse doucement dans un état "zombie" avec aucun
goût sauf pour ne rien faire. En plus on casse plein de choses.
Le nouveau téléphone par satellite que nous venons d'acheter à
Panama saute de son équipet et va aller s'éclater sur le
plancher. Par chance il est retenu en plein vol par le fil
de l'antenne intérieure que nous lui avons installée. Le
téléphone est sauvé mais la fiche de l'antenne est arrachée...
Peut être pas réparable...
A partir de maintenant, pour avoir des communications, Il faudra
toujours sortir le téléphone dehors sous la pluie et les embruns
Et M.... !
 |
On s'énerve et quelque fois un cri ou une engueulade fuse.
Heureusement ça ne dure pas. On ne veut pas tomber dans le piège de
l'ambiance désagréable. En ce qui concerne les conditions de
navigation, personne n'y peut rien. Chacun prend son mal en patience
en se demandant quelque fois ce qu'on peut bien fiche ici... Surtout
quand il faut faire la vaisselle et que les éviers ne se vident pas
complètement à cause de la gite.
Anik surveille la
route à l'abri sous la capote qui couvre la descente |
C'est vrai que la bande anti UV des génois est
pourrie. (Pourtant je l'avais fait changer juste avant de partir de
Dunkerque. Le
maître voilier qui a fait le boulot s'est fichu de nous et à
utiliser de la toile de M.... . Je ne le citerai pas pour ne pas lui
faire de tord (bien qu'il le mérite... Mais un certain nombre de
gens savent qui il est...) Le vent fort, les manoeuvres incessantes
l'achèvent. La toile part en lambeaux très décoratifs. Ça m'énerve.
Banik avance avec courage. Son étrave plonge
dans une grosse vague. Nous détournons les yeux pour ne pas voir ses
souffrances, il faut avancer. Le bordé en acier tape sur la mer et
résonne comme une grosse caisse. Les vibrations se transmettent
jusqu'à la tête du mat. Mais on continue, il faut de la toile et de
la puissance pour avancer. Le plancher en pente est humide, Anik
glisse et chute . Et M.... Mais il faut avancer.
Le ciel est gris. Les panneaux solaires ne
donnent pas assez d'énergie pour tous nos appareils
électriques. Déjà on n'ouvre plus l'ordinateur qui est gros
consommateur. De toutes les façons je n'ai vraiment pas le coeur à
écrire des articles pour le site et les cahiers. On n'allume pas le
feu de tête de mat la nuit mais on assure une veille sérieuse.
Maintenant il va falloir arrêter le frigo pour tout donner au moteur
électrique du pilote qui barre sans fatigue. Il manquerait plus que
ça: Obligés de barrer jour et nuit.

Pas facile de
cuisiner à la gite. |
Cela fait huit jours qu'on est au près. Anik
,qui excelle toujours en cuisine même en mer, baisse les bras
aujourd'hui. Ce n'est vraiment pas facile de cuisiner en se tenant
d'une main au vaigrage. De l'autre il faut empêcher la poêle de
tomber, couper les petits oignons, touiller dans la sauce... Quelque
fois elle se lâche pour exécuter une manoeuvre compliquée ou il faut
verser en même temps plusieurs ingrédients dans la casserole. C'est
à ce moment que la vague plus vicieuse que les autres tape le flanc
de Banik pour précipiter Anik sur le coin du meuble du frigo. Elle
n'a pas lâché sa casserole; elle ne va tout de même pas se laisser
impressionner par une vague; mais le lendemain elle a un gros bleu
sur la cuisse. Quand je descend à l'heure du repas, un petit creux au ventre après
quelques manoeuvres sur le pont, elle me tend un petit bol en
plastique dans le fond duquel il y a un peu de poudre. "Attend ça ne
se mange pas comme ça..." Elle verse à partir de la bouilloire une
petite quantité d'eau fumante. "mélange, attends 3 minutes et régale
toi". Je prends une cuillère et je m'assoie par terre bien
calé contre la façade de la couchette du carré. Il faut être bien
installé pour profiter d'un pareil festin : Des nouilles chinoises à
la sauce shrimp. C'est ce moment que choisit le tiroir à couverts
pour se jeter vers ma tète en essayant de m'assassiner. Anik prend
la défense du coupable en niant la préméditation de la tentative
d'homicide. Soit disant c'est de ma faute car je nai pas remis le
verrou qui bloque le tiroir à la gite. |
Cela fait des jours que la ligne de pêche se
laisse tirer sans rien fiche. Elle n'est même pas capable de prendre
le moindre poisson. Le sixième jour cependant, le cliquetis
annonciateur nous réveille de notre apathie. Un gros poisson tire
sur l'hameçon. Je suis un peu sceptique car avec la mer agitée qui
nous secoue, les prises sont rares, on a du attraper une grosse
algue. Pourtant la ligne en main il me semble bien qu'il y a un
poisson au bout. C'est une belle dorade coryphène même, qui nous fait
admirer ses reflets verts et jaunes lors d'un bond de deux mètres
qu'elle exécute pour essayer de se décrocher. Mais l'hameçon tient
bien et je la ramène progressivement jusqu'au bateau. Vient ma
belle, voila, elle est juste derrière la jupe... Il ne me reste plus
qu'à la monter à bord d'un geste ample qui va la sortir de l'eau et
la faire passer au dessus du plat bord. C'est à ce moment qu'elle
donne un coup de queue frénétique, s'arrache à moitié la gueule pour
libérer l'hameçon et elle s'échappe. Et M.... !
C'est d'autant plus
idiot qu'elle est condamnée. Elle saigne et les ondes de son stress
n'ont pas échappé aux requins qui traînent dans les parages. Dans
moins de dix minutes elle sera mangée.

Tous les 3
jours toilette dans le cockpit avec un seau d'eau de
mer. Ce n'est pas très souvent pensez vous... Mais
c'est qu'il fait froid, ma brave Dame. La mer est
froide à cause du courrant de Humbold et le vent est
froid car il n'y a pas de soleil... |
Et elle m'a donné faim cette maudite dorade. Pour me consoler je
verse un quart de paquet de corn flakes dans un demi litre de lait
chaud. Les flocons commencent à se ramollir il est temps de
saupoudrer le sucre qui sera aussitôt ramasser encore croquant dans
la cuillère. Pourquoi ai je posé 3 secondes la tasse ? Pour pendre
le sucre dans le placard. Maintenant tout est renversé sur le
plancher. Le lait chaud disparaît dans les interstices. Les
flocons tout mous s'agglomèrent dans les recoins. Et M.... ! Le
nettoyage prend du temps, ça glisse... Puisque que j'ai joué à l'eau
j'en profite ensuite pour aller faire ma toilette dans le cockpit. La dernière remontait à
trois jours ... |
C'est sympa d'avoir un moyen de communication
avec les "batocopains". Le téléphone par satellite permet d'envoyer
des petits textes à l'équipage de Saudade qui est équipé comme nous.
C'est sympa sauf au bout de 10 jours quand ils nous annoncent qu'ils
sont arrivés, qu'ils se reposent, que de gentilles otaries viennent
leur dire bonjour dans leur jupe... Et nous on est encore au près, à
190 milles de l'arrivée. Au près c'est deux fois la route trois fois
le temps... Et M.... Y en a marre !