C'est bizarre, ils viennent jeter l'ancre au milieu des
voiliers de voyage, juste devant Banik. Notre coque en acier, que l'on
trouve si belle, prend un petit coup de modestie, elle a vraiment l'air d'un
gros lourdaud derrière cette libellule.
On s'attend à voir émerger du roof une équipe de solides
gaillards ou le visage d'un coureur au large bien connu. Et c'est la deuxième
surprise :
Elle n'est pas un géant, loin de là. Elle saute avec grâce sur le
trampoline pour se rendre à l'avant et régler l'amarrage. Ses cheveux flottent
librement dans le vent et, quand elle revient vers l'arrière, son petit
signe de la main et son sourire la rendent de suite sympathique. Elle a
vraiment l'air cool.
En fait, ils sont deux à bord. Lui n'est
pas du même gabarit. C'est le genre costaud. Je les regarde ranger leur voilier et
mettre tout en ordre et je ne peux m'empêcher de trouver cela étrange. Qui sont
ils ? Que viennent ils faire dans notre coin alors que quelques racers sont
regroupés dans une autre zone apportant plus de facilités techniques.
Il n'y a pas de course prévue en ce moment dans les parages,
ils effectuent sans doute un convoyage et ils vont repartir rapidement. On aura
au moins eu le plaisir d'admirer une jolie machine de course.
Tiens ! ils mettent une annexe à l'eau. C'est une annexe
rigide peinte aux couleurs du trimaran. C'est étonnant qu'un voilier de course
soit équipé d'une telle annexe qui à l'air de faire partie de l'armement.
Anik me dit : Tu penses qu'ils ont ce bateau pour voyager
? Et ils ne sont que deux !
Le lendemain je décide d'en avoir le coeur net et nous
allons toquer à l'une des coques. C'est le gars costaud qui nous salue. "Montez
dit il, Vous êtes nos voisins, je crois... Nous avons du rhum et des citrons
verts" Intérieurement je me dis que ça c'est un accueil typique des voyageurs sur un
voilier. C'est de bon augure.
C'est ainsi que nous avons fait la connaissance
de Sylvette et Henri. |
Sylvette
et Henri |
Nous avons du nous quitter vite mais avec la promesse de
se revoir aux Antilles pour avoir le plaisir de rendre l'invitation. C'était un
prétexte car après cette brève entrevue, nous avions encore plus
d'interrogations à leur sujet :
Ils ne font pas de courses océaniques (dans le sens
compétition). Ils ne sont pas en train de convoyer un des participants à la
prochaine route du rhum. Ils n'essaient pas de battre des records. Ils ne
"roulent" pas pour un sponsor... Ils sont juste en voyage, comme nous, sur un
voilier qu'ils ont entièrement construit de leur main.
Si on connaît un peu les trimarans de course de 50' on se
demande comment c'est possible. On imagine tous qu'il est difficile de vivre la dedans car il n'y a pas
de place... Ça doit être coriace à dompter un engin qui dépasse les 20 noeuds sans
qu'on lui demande... Ça nécessite des moyens financiers énormes pour le
construire et l'entretenir... La mise en oeuvre de la construction réclame une
connaissance de technologies de pointe et un savoir faire que peu de chantiers
professionnels possèdent.
|
Nous avons eu le plaisir de les retrouver en Martinique et
quelques dizaines de ti punch plus tard (en plusieurs soirées) nous les
connaissions suffisamment pour comprendre leur mystère. |
C'est toute une histoire qui commence à la fin des années
1980 avec la construction d'un voilier en acier de type Exploration. Sylvette et
Henri partent alors sur leur premier bateau "Prassara". Ils ont tout à apprendre
et découvrent la navigation et la vie sur l'eau en bouclant un voyage de 4 ans
sur le parcours traditionnel d'un aller et retour aux Antilles:
Durant la traversée de l'Atlantique,
ils se font doubler par quelques
unités très rapides car très légères et fortement toilées. Henri craque. Il ne
supporte plus de se traîner à 5 noeuds. A la fin du voyage, la décision est prise de
construire un ULDB (Ultra Light Displacement Boat). Il faut apprendre de
nouvelles techniques car le moulage des fibres de carbone avec des résines époxy
ça n'a pas grand chose à voir avec la soudure et les chaudes de retrait. Les
mousses ou les lattes de red cedar servant aux sandwichs sont beaucoup plus
légères que les tôles en acier. L'avantage, c'est que
Sylvette peut complètement participer à la construction de la coque et des
aménagements.
Henry dessine, cogite, re dessine... A la fin des années
1990 "Rewa" un ULDB de 16 mètres est mis à l'eau. Encore deux
traversées de l'Atlantique, un nouvel aller-retour aux
Antilles avec "Rewa", achève de les convaincre sur les nombreux avantages d'un voilier
rapide.
Dessine moi un trimaran pour faire le tour du monde.
C'est
Sylvette qui a l'idée.
"Pourquoi un trimaran?" lui demandè-je. "Parce que c'est joli, tout
simplement."
|
Henri n'est pas le genre à se
dégonfler. Et puis avec "Rewa" il a rapidement fini
par voir les limites. "Ça manquait un peu
d'adrénaline " dit-il.
Il s'enferme 3 mois dans un appartement
pour mettre sur papier toutes leurs idées.
Ils font ensuite appel à
l'architecte naval : Éric le Rouge pour dessiner le
bateau de leur rêve. Il
s'appellera
"RAYON VERT" |
Il n'est pas question de confier la construction à un
chantier. Les prix sont inabordables et ils maîtrisent maintenant parfaitement
les techniques. Bien sur il faut revendre "Rewa", c'est un sacrifice mais il n'y
a pas d'autres solutions.
Il est temps de décrire "Rayon vert": Le nouveau membre de
la famille.
La longueur de la coque centrale et des flotteurs est de
15,24 mètres, c'est un 50 pieds. La largeur est encore plus impressionnante avec
ses 12,60 mètres. Les matériaux composites modernes permettent d'avoir un bateau
qui ne dépasse pas 5,2 tonnes. Cependant, il a fallu faire quelques concessions pour
rendre agréable la vie à bord en voyage et le poids du voilier en charge est maintenant de 6,9 tonnes.
Henri explique: "Quand on voyage sur un bateau comme le notre on
ne pratique pas beaucoup les marinas. Il nous faut un mouillage
sérieux.: 80 mètres de chaîne de 12 et deux ancres modernes de
16 kilos. Ça fait du poids tout ça..."
|
Ils ont aussi construit les espars. Le mat aile haut de 22,5
mètres a une surface de 22 m². C'est simple, dès qu'on relève
l'ancre, le bateau part à 5 noeuds avant qu'on ait pu mettre les
voiles. Pour pivoter, le mat est posé sur une grosse bille en
inox. On l'oriente à l'aide d'un Arthur. |
La grand voile lattée est impressionnante
avec ses 104 m². Au début Henri mettait presque une heure pour
prendre un ris. C'est une manoeuvre qu'on hésitait à
entreprendre quand le temps est instable et réclame des réglages
incessants... Maintenant, Henri et Sylvette sont parfaitement au
point et la manoeuvre ne dure plus que 20 minutes.
Les voiles d'avant font 36m² pour la
trinquette et 68 m² pour le solent. Toutes les deux sont installées
sur un enrouleur ce qui est bien pratique.
"Un tirant d'eau de 1,1 mètre quand
l'unique dérive centrale est relevée : Ça doit être pratique pour les petits
mouillages reculés" : Leur dis je.
" Oui mais
quand elle est baissée on a 3,20 mètres et nous sommes obligés d'en baisser une bonne partie pour être manoeuvrant, même au
moteur".
|
Le cockpit est très étudié
pour que l'équipage puisse déployer le maximum
d'efficacité tout en se préservant. C'est pourquoi
ils utilisent, par exemple, des sièges ergonomiques
démontables.
Une attention particulière a été apporté à la
réalisation de l'abri de quart.
Jean-Baptiste, le skipper de Banik,
peut témoigner que c'est confortable.
|
Il est
temps d'aller faire un tour à l'intérieur dans la coque
centrale.
|
Les matériaux composites sont
bien pratiques aussi pour réaliser les aménagements
intérieurs. Pas d'assemblages compliqués en bois
avec des tasseaux à visser ou des panneaux à
ajuster...
Le résultat est surprenant.
Tous les éléments de la
cuisine sont intégrés. Pas de recoins qui gardent la
saleté. Tout est en rondeur, stratifié à la coque.
On pourrait nettoyer au jet d'eau. |
Sylvette reçoit Anik
|
En face de la cuisine le
carré accueille jusqu'à 6 personnes (4 très
confortablement) La table en composite ne pèse que
quelques centaines de grammes. De grands hublots
éclairent généreusement tout l'intérieur qui est
tout blanc agrémenté de taches de couleurs. |
|
Derrière le carré, au centre
de la coque, on trouve sur tribord une couchette
simple, et sur bâbord une grande couchette double au
dessus d'une autre couchette simple. Puis on descend
quelques marche pour aller vers la pointe avant. |
A l'avant, une autre couchette double jouxte le
cabinet de toilette. Luxe ou exigence féminine ? La
porte du cabinet de toilette est garni d'un grand
miroir. |
|
|
Sous les planchers du carré,
bien centré, c'est la place du moteur tout neuf: Un Yanmar de 80 cv |
|
|
Tout ça se trouve dans la coque centrale,
mais qu'y a t-il dans les deux coques latérales ?
Rien! Les deux flotteurs sont là pour
assurer la stabilité. Ce ne sont pas des soutes: Ce sont des
couteaux pour fendre la mer
|
3 étraves
cote à cote effilées comme des lames. Elles
n'attendent qu'une chose: Que l'on hisse la grand
voile, qu'on déroule les focs... Elles veulent
montrer toute la puissance qu'elles ont en elles.
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"Rayon Vert"
a été vendu après avoir effectué un tour du monde sans encombre.
Je lui demande: "Alors
Henri, comment c'était un tour du monde sur ce beau
trimaran ?" Il se marre, il est
ravi de ce beau voyage qu'ils ont fait à deux Sylvette et
lui. C'est une réponse plus qu'éloquente.
"Je suis prêt à repartir" me répond-il
tout de même, mais j'aimerai bien construire un 4ème
bateau... alors j'ai du vendre celui là... Mais si je
n'avais pas trouvé acheteur, je repartais avec Rayon vert... Comme il file sur
l'eau nous aurions vite été à nouveau sous le soleil des
tropiques... Là ou l'œil attentif peut apercevoir de
fugaces rayons verts lorsque le soleil se couche sur un
horizon limpide. |
Henri |
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